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27/3/2024

Dépasser notre bug humain : un livre, deux regards, trois questions

Zoom sur l’essai de Sebastien Bohler, « Le Bug Humain, pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher ? »

Entretien avec Bernard Surlemont, professeur en entrepreneuriat à HEC-Liège et Loïc Claeys, porteur du projet Bug Motion.

« Il y a des livres qui bouleversent notre vision du monde et qui enclenchent de nouvelles réflexions. Ces livres-là sont précieux. Le Bug Humain entre selon moi dans cette famille tant convoitée » évoque Bernard Surlemont.

En 2019, Sébastien Bohler publie sous forme d’essai Le Bug Humain qui tente de décrypter les raisons de notre inaction face aux problèmes environnementaux. Le principal responsable ? Notre cerveau : longtemps notre meilleur allié, aujourd’hui parfois notre pire ennemi, il régit nos motivations primaires et est programmé pour en vouloir toujours plus. Peut-on vouloir une croissance infinie dans un monde aux ressources finies ? Peut-on résoudre ce bug pour redresser la courbe et vivre en harmonie avec notre planète bleue ? Cet ouvrage apporte des pistes de réflexion et des explications sur la complexité de notre cerveau. Il se lit comme un roman…un roman noir qui dépeint le comportement humain, mais qui pousse à comprendre les mécanismes de notre cerveau pour mieux les déjouer.

Pour plonger dans cet essai, nous avons rencontré Bernard Surlemont et Loïc Claeys, deux entrepreneurs engagés. D’un côté la génération boomer, de l’autre la génération zoomer.

Quels sont les éléments qui vous ont marqués dans cet essai ?

Loïc :

Le mot « striatum » : si inconnu avant la lecture de ce bouquin et si familier après 200 pages. Le striatum est une partie du cerveau qui gouverne nos motivations primaires et notre système de survie. C’est en quelque sorte la clé de voute de notre système de décisions. Une fois stimulé, il libère de la dopamine, l’hormone du plaisir, et nous incite à assouvir - de manière démesurée parfois - nos besoins fondamentaux : manger, se reproduire, asseoir son pouvoir, acquérir de l’information et fournir le moindre effort. En résumé, nous ne pourrions pas nous arrêter, car c’est toujours notre striatum qui nous commande. Nous sommes en quelque sorte « programmés pour en vouloir toujours plus ». L’homme d’aujourd’hui est le résultat d’une très longue évolution humaine. Cette programmation de vouloir plus, pour garantir sa survie avait du sens à l’époque de Neandertal par exemple, mais elle est totalement en inadéquation avec les enjeux de notre planète d’aujourd’hui.

Bernard :

Ce livre a été une révélation pour moi. Il y a beaucoup de littérature sur le constat et le diagnostic des enjeux sociaux et environnementaux de notre époque. Il y en a peu par contre sur l’explication de notre inaction et sur les outils pour se mobiliser alors qu’on sait qu’on va droit dans le mur. Dans le Bug Humain, j’ai trouvé quelques pistes pour duper notre système « programmé ».

Bohler plaide pour une révolution du sens. Selon lui, on a besoin de nouvelles valeurs non plus liées au capitalisme et à l’égocentrisme, mais à la coopération, à l’altruisme, pour se sentir à nouveau partie prenante de la planète et ré-enchanter les valeurs collectives.

Quel impact ça a eu sur vous en tant qu’individu ?

Loïc :

J’ai d’abord été profondément frappé par cette forme de fatalisme : « à quoi bon faire quelque chose, de toute manière on est fichu. Notre cerveau est programmé à tout bousiller ». Je suis quelqu’un d’engagé, à tous les niveaux, avec un profond désir de« faire mieux ». Après le premier chapitre et ces thèses liées au pouvoir de notre striatum, je me suis dit que j’étais insignifiant dans ce monde et je suis tombé dans une sorte d’éco-anxiété. J’ai fermé le livre pendant des mois. J’ai arrêté d’avancer sur mon projet.

Puis, il y a eu ce moment de basculement qui m’a permis de prendre du recul et de relativiser. J’ai pris conscience que même si je ne pouvais pas changer cette inertie du monde, j’avais beaucoup de chance d’être si bien entouré et de vivre où je vivais.

Je me suis dit « je vais faire au mieux, avec ce que je peux, et je vais donner du sens à ma vie et en profiter un maximum ».

C’est là que je me suis replongé dans le livre et que j’ai parcouru avec un certain carpe diem le chapitre sur la sobriété. Ou plutôt, le chapitre qui m’a permis d’être soulagé : la sobriété, c’est l’essence de mon projet. Je me suis dit : « Je suis dans le bon, à mon échelle ».

Tout n’est pas noir ou blanc. L’analyse de Bohler est à nuancer parfois, en ajoutant des subtilités et d’autres éléments, comme le pouvoir de l’éducation pour façonner notre cerveau.

Bernard :

Je comprends Loïc. Je me suis aussi dit au début, « puisqu’on est foutu, autant continuer à prendre les avions low cost ». Et puis, en ayant mis le doigt sur l’explication de l’inertie humaine, ça m’a permis à titre personnel d’allumer une petite lumière lorsque mon comportement était en inadéquation avec les enjeux climatiques. Parfois j’ai envie de générer cette dopamine instantanée, mais je me rappelle de manière rationnelle que je peux m’en passer. Je m’autorise encore des écarts à l’heure actuelle, mais beaucoup moins qu’avant la lecture de ce livre.

Pour surmonter ce dysfonctionnement, la méditation de pleine conscience m’aide beaucoup. Elle permet de faire redescendre le stress mental, de prendre du recul, d’accepter la frustration et de ne pas être en permanence dans le besoin de la satisfaction immédiate. Je pense que c’est une clé pour vivre en harmonie avec la nature.

Dans quelle mesure l’analyse de Bohler peut-elle servir l’approche entrepreneuriale ?

Loïc :

Il y a certaines cordes sensibles de nos cerveaux que nous ne pouvons pas ignorer. Nous sommes des êtres plus émotionnels que rationnels. Lorsqu’on se lance dans l’aventure entrepreneuriale, il faudrait utiliser cette compréhension de notre câblage pour déjouer ce bug.

Bernard :

Par exemple, il y a une réelle réflexion à mener sur la manière de présenter son produit ou son service pour éviter de tomber dans les travers marketing classiques qui visent à générer de la dopamine pour avoir du plaisir. Comment le penser autrement pour stimuler autre chose ?

Aurélie Neirinck - CHARGÉE DE PROJET AU VENTURELAB

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